2022.07.23 au 30 Crossing Switzerland

Julia au Crossing Switzerland en photos 390 km

 Le château princier à Vaduz

Julia Fatton a pris la 3ème place finale des femmes sur le Crossing Switzerland de 390 km pour 24'000 m de D+ D-. Cette course suit le tracé de la Via Alpina de Vaduz à Montreux, avec quelques petites variantes pour éviter soit une réserve naturelle à Elm ou le village de Grindelwald, qui ne désire pas être traversé par ses autorités. Ou pour rejoindre un poste de ravitaillement éloigné du parcours.

Il faut préciser que le parcours n’est pas balisé par la course hormis quand le tracé sort du chemin de la Via Alpina. Sur celui-ci, il faut repérer le marquage 01 et ce n’est pas toujours bien indiqué. Les panneaux sont parfois trop rares à certains embranchements ou traversées de villages. Les erreurs de parcours vont être nombreuses. Certains se dirigent mieux que d’autres. Julia, malgré le parcours enregistré dans sa montre-GPS va se perdre une multitude de fois.

Julia a été en tête dès le km 105 peu après le Col du Klausen jusqu’au km 362, à Rossinières.
Elle passe la marque des 24 h à Altdorf et dors pour la 1ere fois à Engelberg après 154 km.
Elle a l’air de bien gérer comme à son habitude et remonte continuellement au classement. Elle sera au mieux 13ème du scratch. Mais assez habituellement autour de la 20-24ème place.
Julia arrive à Marmor Bruch (Grindelwald) le mercredi à 0h51.

A cet endroit, la course est bloquée en raison d’un orage. Cependant, son avance de 1 à 4 h de temps sur certaines personnes va fondre, car derrière, certains ne sont pas bloqués ou s’en vont plus tôt que ne l’autorise la course. Finalement, on lui dit que la course va repartir à 5h, quand on la réveille à 4h34. Et elle s’entend dire qu’il y avait jusqu’à 17 personnes sous la tente du ravitaillement, alors qu’il n’en reste plus que 5 ou 6 à 5h. Et où sont-ils les autres ? Ils sont déjà partis, dès 4h30. Voilà en gros comment cet orage et la gestion de celui-ci a été géré par les responsables du poste. De manière très légère. Ses 4 h d’arrêt ne seront pas décomptés. Pour les premiers de la course qui étaient arrêté à Griesalp, il semblerait qu’ils sont repartis les uns après les autres, selon les écarts qu’ils avaient en y arrivant. Soit, de manière équitable.

Julia a quelques difficultés à pouvoir dormir lorsqu’elle souhaite se reposer. Cela va jouer clairement en sa défaveur sur la fin du parcours.

 

A Gstaad, elle a encore 4 h d’avance sur Fanny et 9 h sur Weronika. (Tableau ci-dessous) Elle va se perdre entre Gstaad et le Col de Jable où elle n’a plus que 2 h d’avance. Julia téléphone à l’organisation pour se retrouver et prendre le bon chemin. Elle se retrompe peu après le col et c’est moi qui suis en live qui lui téléphone pour lui dire de faire demi-tour. Mais je peux constater au téléphone qu’elle manque de lucidité et cela va se confirmer à son arrivée à l’Etivaz.
A cette dernière base de vie, où les sacs suiveurs sont à disposition, elle n’a plus que 30 minutes d’avance environ. Elle essaie de dormir 20 minutes. Sans vraiment y réussir. Elle repart juste avant l’arrivée de Fanny Jean. Qui a l’air bien plus fraîche que Julia en montant les escaliers menant au ravitaillement. Ça paraît cuit pour Julia, si elle n’arrive pas à réagir.

A Rossinières, Julia arrive encore en tête, suivie d’une dizaine de secondes par Fanny, qui repart en tête.

Julia s’accroche comme elle peut et accuse à mon étonnement que 2 km de retard au Col de Chaude, selon le live. Puis elle va avoir des hallucinations, elle me voit à plusieurs places depuis l’Alpage de Chaude, dans les pâturages, alors que je ne suis pas là. Elle voit une vipère et se couche dans l’herbe juste quelques mètres après. Trop d’hallucinations, trop de fatigue, elle peine à garder son équilibre et avance au ralenti. Les cailloux ont des visages qui lui sourient. Elle dort une heure, couchée dans l’herbe, la casquette sur les yeux.
Elle va finir les 2 km d’ascension des Rochers de Naye, assez bien. Dans le début de la descente raide et technique des Rochers de Naye, elle va se perdre et c’est à nouveau grâce à un téléphone d’amis qu’elle va retrouver le bon chemin, mais avec un dénivelé supplémentaire positif de 150 m environ, non essentiel et non désiré. Elle descend de surplus au ralenti, se fait dépasser par quelques coureurs, malgré les écarts importants. Elle redort une heure sur les hauts de Caux. Sur le live, je vois l’avance que Julia a encore sur Weronika, fondre comme beurre sur une plaque de cuisson. Julia est cuite, ses œdèmes, du bout des orteils jusqu’au milieu du ventre, ses ampoules situées au point d’appui et de relance du pied ne facilitent en rien sa progression. A 2 km de l’arrivée, 100 m avant l’entame des escaliers à la sortie de Glion, Weronika Troxler la dépasse, toute heureuse de cette aubaine. Elle est surprise en bien et c’est bien légitime. Julia arrive en 3ème position à 2 minutes de la 2ème. Mais heureuse d’être Finisseuse.

Jamais un mot de regret, jamais une plainte, jamais un juron. Il faut un sacré mental pour accepter une fin de course comme elle l’a vécu, en laissant filer la victoire qui lui semblait promise. Mais sur ces courses extrêmes, où l’on joue avec la gestion des heures de sommeil, où les erreurs de parcours sont fréquentes avec la fatigue, le manque de concentration, la perte de lucidité, les hallucinations, des black-out parfois même, à ne plus savoir ce que l’on fait et pourquoi l’on est là, tant qu’on n’a pas passé la ligne d’arrivée, rien n’est acquis.

Elle va mettre 10 h pour les derniers 14 km, sieste comprise après le Col de Chaude. Voulait-elle savourer ?

Julia ne s’est jamais plainte. Elle accusait 7 kg de plus sur la balance à la maison que son poids de départ. Presque 10 kg, une fois l’eau partie de son corps 4 jours après la fin de la course. Car en ayant aussi perdu du poids. Elle a vraiment eu un problème qu’on peine à expliquer. Ses jambes pleines d’eau, un immense œdème jusqu’au bas ventre. Des pieds d’éléphants. Elle ressemblait à un bonhomme Michelin.

Reste à savoir pourquoi exactement ? L’effort et les chocs répétés ? Le manque de sommeil, le manque d’avoir les jambes à l’horizontale ? L’excès de boissons isotoniques, riches en sels minéraux, que Julia a bu comme boisson principale tout au long de l’épreuve ? Certainement un peu de tout ça. Son problème majeur, nous semble-t’il à Julia et moi est son incapacité à vraiment dormir durant les compétitions. Ainsi, elle ne récupère jamais vraiment et n’arrive pas à retrouver la fraîcheur nécessaire pour retrouver un bon rythme. Elle a tenu 4 jours et demi environ puis s’est vraiment effondrée. Mais chapeau à son mental à toute épreuve pour tenir et finir malgré tout.

En parlant des coureurs de la région, à noter l’excellente performance du Duo Chasseral, de Yannick Chédel et de Kurt Nadler, (La Neuveville et Kerzers) qui terminent à la 13ème place du scratch.
Et aussi la très belle 24ème place de Philippe Carrard, de Tête-de-Ran, un ami qui a été au contact de Julia vers Linthal, puis depuis la descente du Hohtürli sur Kandersteg et encore ensemble vers Gstaad.

Christophe Nonorgue de Neuchâtel s’est arrêté à Altdorf.
Jean Rota, de Môtiers s’est arrêté à Lauterbrunnen.

Retour en arrière pour reprendre depuis Vaduz.

 Vaduz à 22 h, Go !!!

Ce samedi 23 juillet, environ 160 coureurs sur les 200 dossards attribués s’affairent. La nuit tombante est douce et promet d’être chaude pour ces courageux ou inconscients, mais tous aventuriers dans l’âme. A 22 h, sous le château du prince éclairé qui domine du haut de sa falaise la ville de Vaduz, le départ est donné.
A quoi, me direz-vous ?
Au Crossing Switzerland, épreuve d’ultra-trail qui suit la Via Alpina sur 390 km et 24'000 m de dénivelé positif et négatif jusqu’à Montreux.

Plusieurs amis courent, Julia ma femme est de la partie, j’aurais dû en être si je n’avais pas été stoppé par une grave infection aux staphylocoques dorés au pied gauche. On se connait assez largement dans les pelotons d’ultras, les difficultés ont la magie de rapprocher les gens et d’ouvrir à des confidences au long des kilomètres partagés à vivre ensemble. C’est une aventure plus qu’une vraie course qui s’ouvrent à ces coureurs férus d’adrénaline et de sensations fortes, voire extrêmes parfois. Pourtant, le désir de donner le meilleur de soi-même habite quand même la majorité des coureurs, avant d’être concurrent quand même. Le désir de finir prime en général sur celui de battre tel ou tel concurrent. Car finir est déjà un sacré exploit et chacun respecte la performance de chaque finisher. Du moins, à mon ressenti.

  A l’entrée de la forêt, après Mels

A Mels, après une bonne vingtaine de km, à l’entame de la forêt, les coureurs sont la plupart bien trempés de transpiration. La nuit est chaude et le rythme certainement trop élevé pour nombre de coureurs au départ d’une si longue épreuve.
Julia passe en 93è position, selon le classement de Sargans, peu avant. Mais il y a de nombreux ex-aequo au temps, de sorte qu’elle est certainement autour de la 120ème personne à passer à cet endroit. 7ème femme.

Au sommet du 1er Col, le Foopass, (2182 m) qui relie Weisstannen à Elm, le canton de St-Gall à celui de Glaris, elle est déjà 46è du scratch, soit environ la 60ème personne à basculer dans la première descente de son premier col sur les 16 qui l’attendent. Et qui ne feront pas de cadeau, il faudra aller le chercher celui-là, tout en bas du dernier col, après la plus longue et éprouvante descente. Mais à l’heure du Foopass, elle est 4ème femme. La nuit dans sa plus grande noirceur. Pas de pleine lune qui éclaire. Elle est toute petite. Un croissant qu’on rêverait bien de croquer, l’effort commence à creuser les appétits.

 

Kurt et Phlippe                                  Debouts, Julia et Philippe, en vert.

A Elm, le lever du jour s’invite en même temps que Julia et notre ami Philippe, qui arrivent ensemble. La Via Alpina est délaissée pour repartir de cet endroit, pour éviter une zone sensible naturelle, une petite réserve en milieu humide. Les participants sont briefés pour savoir où bifurquer vers une fontaine, à gauche, dans le village. Un balisage est posé jusqu’au point où le parcours de la Via Alpina est retrouvé.
Julia, qui n’a peut-être pas bien écouté les consignes et stressée d’être en compétition, retourne en arrière au lieu de suivre la bonne direction à cet endroit. Elle se tape 15 minutes d’aller-retour inutile.

La section jusqu’à Braunwald va être éprouvante pour la plupart des participants. La chaleur s’invite à nouveau et sur ces 31.4 km, point de ravitaillement. Les 2 litres de boissons obligatoire par canicule sont vivement à respecter. Une fontaine à demi-pente du Richetlipass (1992 m) leur est signalée au ravitaillement de Elm ainsi qu’une ou 2 autres à Linthal, afin de refaire le plein.

Au col de Richetlipass, voir tableau ci-après, l’écart entre les 5 premières femmes est de 36 minutes. Cela reste vraiment ouvert, surtout sans ne connaître le palmarès de plusieurs femmes. La 5ème place étant occupée par le duo féminin de Anja et Tissi.

A Linthal, Weronika passe à 11h13, suivie de Julia et Philippe à 11h17. Les écarts s’amenuisent. Il fait chaud, le soleil tape fort, mais heureusement l’ascension jusqu’à Braunwald, assez courte, mais assez exigeante est ombragée, dans la forêt. Voici le lieu de la 1ère base vie, où certains coureurs vont déjà en profiter pour dormir un peu. Ils retrouvent leurs sacs de délestage, changent leurs piles de frontales, rechargent un peu les sacs qu’ils portent de barres énergétiques ou autres produits secrets de ravitaillement, chacun y allant de ses préférences. Gel, croissants à la viande, aux amandes, biberlis, biscuits, fromage, viande séchée, pâte de fruits, haribo acide, guimauve, biscuits salés, voire des chips, la panoplie est grande et certains emportent ce qu’il faut dans les sachets appropriés. Nourriture du ravitaillement ou des suiveurs autorisés sur les postes de ravitaillement uniquement.

           

 

Julia profite de se rafraîchir à Braunwald, de manger d’excellents spaghettis à la Bolognaise, son meilleur repas et repart sans faire de sieste. Il faut dire que c’est la mi-journée.

  

La suite du parcours jusqu’au Klausenpass, à 102 km, est assez roulante. Elle se trouve en grande partie seule. Elle va commencer à remonter au classement, arrivant au ravitaillement situé 2 km après le Col du Klausen en 2ème position femme. Et déjà 24è du scratch. Cette section lui a été assez bénéfique pour faire le trou sur plusieurs coureurs, mais sans qu’elle pense à vouloir le faire.

Simplement, les parcours roulants lui conviennent bien mieux que les descentes, son point faible, surtout si celles-ci sont techniques, parmi les cailloux, les rochers, les racines. Sans doute son manque d’entraînement en terrain difficile. Sa priorité reste quand même les courses sur route et les 6 semaines de préparation en mode trail après l’Ultr’Ardèche de 222 km le 4 juin, sont assez minimales pour se préparer les chevilles et acquérir de l’assurance dans les sentiers exigeants, où les pièges et dangers se multiplient. Eux qui nécessitent lucidité, souplesse, vitesse d’anticipation.

Après avoir englouti rapidement 2 assiettes de risotto, fait le plein des gourdes ou de les avoir fait remplir, elle repart en compagnie de Denise, 1ère du départ jusque-là. Elle va céder sa place à Julia et Denise préfère arrêter, ne se sentant pas bien, toussant abondamment, déjà au départ et les jours avant. A Altdorf, elle en repart en 23è position alors qu’il fait encore jour et attaque l’ascension du Surenenpass (2291 m) quelques kilomètres plus loin avec le jour qui s’évapore, englouti par l’encre de la nuit. Il fera toujours aussi sombre que la nuit précédente. Le passage technique du Col, tout en haut ne lui laisse pas de souvenirs particuliers. Ce qui laisse croire qu’elle n’en a pas souffert. Elle l’a passé sans encombre. Il faut dire qu’il est plus facile de monter que de descendre quand c’est technique et qu’il faut jongler d’un caillou à l’autre, sur ou entre eux. Elle apprécie à nouveau les kms de plats menant à Engelberg. Les kms de bitume ou de chemins blancs lui sont plus favorables qu’aux purs traileurs.

         


Elle me réveille à 4h52 le lundi matin par téléphone pour m’annoncer qu’elle arrive à la base de vie d’Engelberg du km 154. Elle est 24ème. Elle s’offre son premier repos en dormant une heure. Elle dit avoir dormi. Pas super profondément. Le riz avec l’émincé de poulet lui a bien plu aussi. Elle connaît le tracé de la Via Alpina, puisque nous l’avons fait en 12 jours en 2020, pendant l’été, durant nos vacances.

Le Covid a eu du bon, puisque cela nous a permit de reconnaître ce futur parcours de course. Qui n’était pas encore programmée par l’organisateur, car pas encore pensée.

Julia repart d’un bon pied pour gravir la pente menant au Trübsee et ensuite passer le Jochpass, à proximité du Titlis. Elle avance seule, étant partie seule et ne se fera rattraper que par Benjamin, un bon copain depuis que lui et moi avons terminé les derniers kms du Swisspeaks 2019 entre les hauts de Champéry et l’arrivée au Bouveret. Ainsi, il fait connaissance de ma femme. A Melchsee Frutt, elle se fait 2 sandwichs au salami pour reprendre des calories avec elle. Sur place, elle avale une soupe aux vermicelles avec du pain.

Sans s’en rendre compte, elle arrive à Haslital en 13ème position. Elle ne s’est pas vraiment où elle a dépassé ces 11 coureurs depuis Engelberg. Le contrôle de Haslital est dans les hauteurs. Mais Julia n’a jamais vu ou fait attention à eux le long du parcours.

Peut-être que certains se reposaient-ils, poussant un petit roupillon sur une table, ou sous ou sur un banc, ou peut-être sur un matelas, elle ne sait pas s’il y avait la possibilité de se coucher vraiment quelque part. Toujours est-il qu’elle est pointée 13ème à Haslital. Mais il n’y a pas de ravitaillement à cet endroit. Le prochain est à Meiringen.

Julia, en général fait très vite aux ravitaillements. Elle ne prend pas forcément garde à qui est là, assez concentrée. Bien sûr des fois elle discute et est toute contente de retrouver des coureurs connus. Sur une épreuve si longue, c’est clair qu’elle s’asseye quand même et mange du solide si c’est possible. Il n’y avait pas partout du chaud, mais dès qu’il y a quelque chose de cuit, pâte, tortellinis, riz, pdt, ou autres surprises, elle mange volontiers.

A Meiringen, où elle arrive à 16h36 ce mardi 26 juillet en 15ème position, elle semble très fatiguée. J’ai fait un saut pour la retrouver et ses yeux sont très marqués, elle est également très émue. La fatigue se fait sentir. Déjà 192.5 km et 10'123 m D+. Soit quasi la moitié des kms. Le ravitaillement se trouve le long de la route principale menant à Innertkirchen, départ pour les cols du Susten et du Grimsel. C’est bruyant. Une petite averse venteuse a obligé les ravitailleuses de replier le couvert du van pour ne pas l’endommager, par précaution. Elles proposent à Julia de se reposer sur un lit de leur chambre. Ce qu’elle accepte après s’être ravitaillée et laissée convaincre de dormir un peu. A 17h09, elle me dit de la réveiller dans une heure. Et avec Julia, une heure c’est soixante minutes, surtout pas une de plus. Elle veut rester maître dans toutes les situations de ses courses. On ne badine pas avec elle, ni pour une boisson, par exemple coupée à l’eau si c’est du coca, ou avec du sucre ou du sel dans une boisson si elle ne l’a pas demandé. C’est elle la cheffe. Et elle a bien raison. Vers 17h50, je suis surpris de la revoir prête à repartir. Elle dit ne pas arriver à s’endormir. Donc elle repart.

   

La montée jusqu’à la Grosse Scheidegg est étouffante, selon elle. Il fait si chaud qu’elle se serait bien trempée dans le torrent, si celui-ci lui aurait offert une plage avec une partie d’eau calme. Mais le courant est trop fort et elle ne trouve aucun endroit, sur le tronçon où elle le suit, qui lui permet de se rafraîchir, voire de se mettre à l’eau. Elle revient sur l’Anglais Tim, fait aussi quelques km avec lui ou derrière lui, se fait dépasser par le Japonais Osada. Il pleut à verse et à la Grosse Scheidegg, Julia, en compagnie de Tim s’habillent pour la pluie. Veste et pantalon pour elle. Roman arrive peu après en 18ème position. A eux trois, ils se dirigent vers un restaurant pour se mettre à l’abri et boire un café si possible. Ils ont un peu moins de 48 h d’effort à ce moment. Julia dit qu’avec le tonnerre éclatant juste après avoir vu la foudre, l’orage est très proche. Mais Tim dit qu’il n’y a pas tellement de foudre. Lui en tout cas ne semble pas impressionné. A ce restaurant, un homme qui semble être le patron sort en pyjama et ne veut rien savoir. Ils les laissent dehors, sans leur dire quelque chose. Toutefois, il revient quelques minutes plus tard avec 3 cafés. Mais Tim est déjà loin. Julia partage les 3 cafés pour eux 2. Roman verse les 3 crèmes dans le sien, le goûte et ne le trouve pas bon, il n’en veut plus. Julia boit le sien nature et repart avec Roman. Il fait une nuit encore plus sombre que les précédentes, sauf quand les nombreux éclairs inondent largement la vallée. C’est très impressionnant et pas très rassurant avec les falaises à pic qui bordent le chemin sur la gauche.

La course sera neutralisée en divers points. Tout d’abord à Engelberg, car le mauvais temps vient de l’Est. Puis à Melchseefrutt, à Meiringen, pour certains dans la montée à la Grosse Scheidegg. Pour Julia, ce sera au poste de Grindelwald, situé au restaurant de Marmorbruch, au-dessus des gorges de la Weisse Lutschine. Et ainsi de suite à chaque ravitaillement jusqu’à Griesalp où arrivent déjà les premiers.
Roman arrive au poste un peu avant Julia et dit que le sentier est très glissant parmi les cailloux qui le jonchent abondamment dans la descente. Il faut faire attention. Julia arrive à ce poste, selon le résultat du lieu à 0h56. Environ 3h10 après avoir été pointée à Grosse Scheidegg. Elle s’est aussi un peu égarée entre 2 mais n’a pas trop jardiné. Expression utilisée pour ceux qui se perdent. C’est en consultant sa montre GPS et en téléphonant à l’organisation qu’elle retrouve le chemin. Pour elle, le kilométrage ne jouait pas avec la position du ravitaillement. Plus loin que sur le plan. Ce qui lui a fait douter de l’avoir loupé. Il n’en était rien. Arrivée enfin à Marmorbruch, elle mange sous la tente dressée à côté du restaurant. L’eau coule sur l’herbe en pente et oblige quelques coureurs dormant à même le sol de se poser sur les bosses du fond de tente, à l’abri de l’eau et sur leur couverture de survie. A 2 h, comme d’autres coureurs arrivent, il est demandé à quelques-uns s’il leur est possible de libérer un peu de place. Julia s’en va dormir sur le siège avant d’une voiture, après autorisation du chef de poste. Elle sera réveillée à 4h34 et il lui est dit que ça va repartir dans une demi-heure, à 5 h. Elle retourne sous la tente et patiente, prête au départ, à peine une minute après son réveil. Mais s’étonne de ne pas trouver beaucoup de coureurs après une bonne vingtaine de minutes. Elle demande où ils ont passé. On lui répond qu’ils sont partis tout de suite, à 4h30. Elle n’est pas contente de la réponse, car ça ne correspond pas à ce qui a été dit au réveil, ni durant la nuit en l’envoyant dormir. Il semblait que les temps d’arrivée de chacun avaient été notés et que le temps neutralisé serait décompté au final. Ce qui n’a pas été fait. Les départs ont été donnés de manières désordonnées. Sans tenir compte des heures d’arrivée. Pour respecter les écarts d’arrivée, il aurait fallu réexpédier les coureurs dans le même ordre, en tenant compte des mêmes écarts au moment des départs. Comme il a été procédé à Griesalp pour les premiers. Elle perd de ce fait 1 h à 1h30 sur certains coureurs.

Personnellement, je ne trouve pas cela équitable. Au moins, la course continue, l’orage cessant. Là est l’essentiel, me raconte le 2ème hémisphère de mon crâne, moins concerné par ses calculs d’apothicaire.
Alors, eh bien ça repart en direction d’un pont pour passer sur le torrent Weisse Lutschine. Puis remonte en direction de la Petite Scheidegg, en étant sur les hauteurs par rapport au chemin de la Via Alpina. Une petite variante initiée par le refus de pouvoir traverser Grindelwald avec la course. Il ne pleut plus, le terrain est humide, mais pas boueux, les herbes de bord de sentier mouillent les pieds. Qui le sont déjà, pour ceux en tout cas qui n’ont pas de chaussures en Goretex. Julia a les pieds mouillés.

  


Le parcours changé monte jusqu’à la station du téléphérique de l’Eigergletscher. Des fanions rouges avec des points jaunes réfléchissants lui indique le chemin dans cette nuit finissante. Cela facilite de trouver le bon chemin de nuit quand il y a des variantes par rapport à la Via Alpina, car dans ce cas, ces pastilles réfléchissantes se voient de loin. Cela évite de chercher son chemin à chaque embranchement de sentier. De là à espérer que les nuits durent davantage… Les Asiatiques venus en visite pour admirer la Suisse, et autres coureurs venus de loin ont demandé que rien ne change. Donc les nuits sont fidèles à celle de juillet finissant.

De la station Eigergletscher, une variante assez directe mais raide à travers les pâturages, les pistes de ski en hiver. Une autre variante autorisée mais un peu plus longue mais plus facile emprunte un sentier passant par la Kleine Scheidegg. C’est ce qui a été proposé à Marmorbruch. Julia utilise la variante la plus longue mais la moins demandeuse d’attention, à l’instar de la plupart, si j’en crois le live et les points rouges représentant les positions des coureurs. Certains diront être allé s’acheter quelque chose en passant, selon leur heure de passage, aux restaurants du col. Julia passe cette année plus assurément que quelques années auparavant, quand elle dévalait les pistes de ski. Pourtant elle se débrouillait bien, après avoir appris à skier à 38 ans. Les cracks du Lauberhorn n’ont pas les noms habituels des champs de neige, mais ceux des noms des spécialistes à dévaler ces champs d’herbettes, des champs de pierres et de racines à d’autres emplacements. Des équilibristes aussi, où les chevilles sont garantes pour éviter des vols planés tout aussi voire davantage dangereux parfois.
A cet endroit, les premiers ont des consonances exotiques pour certains, à savoir, dans l’ordre : Wataru IIno, (J), Victor Richard (F), Keisuko Minami (J), Sangé Sherpa, (NPL), Wouter Huitzing (NL), Francis Marielle (F), Gerhard Knapp (I), Miroslav Varga (SLK), Claudiu Beletoiu (ROM), Julien Gantenbein (CH), pour ne citer que les 10 premiers arrivants à Lauterbrunnen, au bas d’une descente bien plus longue que la mythique Lauberhorn. Vous en conviendrez, ce ne sont pas des noms aux consonances courantes de ceux qui dévalent les pistes de ski.

Julia arrive à Lauterbrunnen en gagnant cette descente chez les dames, en tout cas avec l’avance qu’elle avait emmagasinée jusque-là. C’est une base de vie où les sacs permettent à certains de se doucher et de se mettre au propre. Des matelas attendent des dormeurs de courte durée et interchangeables dans une grande salle de gym. Loin du bruit du réfectoire et du ravitaillement. Là, des frites et un hamburger sont servis. Certains s’en régalent, d’autres rechignent à manger si gras et si peu digestes. Alors ils se rabattent éventuellement sur un sandwich au salami-fromage à composer soi-même avec les produits servis. Comme partout, il y a ceux qui prennent leur temps de manger et dormir et ceux qui font vite sans vouloir perdre trop de temps. Les uns s’en vont alors ragaillardis, tandis que d’autres s’en vont à leur rythme de croisière faiblissant. Deux manières de gérer son effort et selon les besoins ou non de dormir, les 2 tactiques se rejoignent parfois en termes de résultats finaux. Mais les dormeurs ont l’air moins épuisés et marqués que les accrocs à ne pas trop délaisser les sentiers trop longtemps. Julia, qui n’arrive pas à dormir durant un effort, comme lors des 48 h durant lesquels elle s’asseye juste pour s’assoupir, appartient davantage au second groupe. Elle est assez marquée de fatigue à certains ravitaillements. A Lauterbrunnen, elle passe la porte en 23ème position, 1h51 devant Fanny. La descente lui a fait perdre quelques rangs. Elle n’ira pas se reposer, étant là à la mi-journée et ne ressentant pas de besoin de le faire.
La digestion lui sera difficile, elle peu habituée à des frites. Elle se perd en grimpant à Mürren. La direction de la course lui téléphone pour la remettre sur le bon chemin. Elle partait droit en haut la pente alors qu’il fallait y aller en diagonale. J’avais repéré qu’elle s’était trompée. Je lui ai signalé ceci par WhatsApp et indiqué de prendre à gauche aux 2 prochains carrefours, afin de la diriger sur Mürren. Au cas où elle se rendrait compte qu’elle s’était perdue et chercherait de l’aide. Le chemin aurait été plus long, mais au point où elle se situait, c’était un peu pareil que de rebrousser chemin et prendre le bon. C’est ce qu’elle est priée de faire par les conseils des suiveurs officiels de la course.

Au Col de Sefinafurgga, (2517 m), la course accuse 254.9 km. Les 2 tiers arrivent à grands pas grâce aux derniers mètres de descente peu inclinés avant le passage du pont sur le torrent Gamchibach pour rejoindre le ravitaillement situé à Underi- Bundalp, au-dessus de Griesalp. En début de descente, là où c’est raide, ce sont des petits pas rapides qui sont conseillés, penchés en avant pour éviter de glisser en arrière. Julia n’aime pas trop la descente mais s’en sort pas si mal si le sentier n’est pas jonché d’embûches où il faut sans cesse lever les pieds pour passer ces pièges, tous aussi différents les uns que les autres. Elle connait la bonne technique. Toutefois, elle passe de la 14ème place au Sefinafurgga à la 20ème au ravitaillement nommé Griesalp. Quand même la marque que la descente n’est pas sa tasse de thé. A ce sujet, elle est plutôt gourde d’isostar durant ce Crossing Switzerland. Elle n’est pas gourde… entendons-nous ! Elle a opté pour l’isostar servi aux ravitaillements, pour que son corps assimile au mieux les électrolytes qu’il perd en raison de la canicule. Avec l’aide des gourdes qu’elle remplit à chaque poste. 1.3 à 2 litres à chaque fois, en règle générale. Parfois, elle emporte encore plus de boissons, comme lors des 2 premiers jours. Au moins de jour, la nuit, elle a moins soif, vu que la température descend un peu. Un petit regroupement à lieu à cet endroit, par le hasard des choses et de ceux qui traînent un peu au ravitaillement et qui permettent justement de faire grossir l’assemblée dans ce chalet. La nuit s’invite lorsque Julia en fait de même en pénétrant au ravitaillement.

La montée qui suit semble vouloir faire gravir les coureurs aux étoiles. C’est raide. Et toujours plus raide. Un terrain cher aux bouquetins, que Julia a la chance d’observer Et encore si raide que la fin de la montée n’est possible que grâce à des escaliers et une main courante pour se tirer en montée ou s’assurer en descente ? Pour les clients involontaires au vertige. S’éviter de devenir un vestige en raison du faux pas à exclure de toute évidence. Les bouquetins rient gravement à voir ces bipèdes si gauches, eux si adroits et à l’aise. A moins que ces rires soient des grognements d’intimidation ?

Le col Hohtürli (2777 m) au pied de la cabane Blümlisalp, ou Blümlisalphütte auf deutsch, (2836 m) est pour certains un point de basculement car c’est le sommet de cette Via Alpina.

Après, ce ne sera que plus facile et moins haut. Quelques coureurs vont s’y arrêter pour se sustenter. Roman, lui, compétiteur dans l’âme, va téléphoner pour commander des röstis avec un œuf ou 2 au plat et que ce soit prêt dans la demi-heure, au moment où il y entrera vraisemblablement. Pour perdre le moins de temps possible, mais s’offrir une petite gâterie pour refaire un plein durable de calories. Photo de ses röstis à l’appui pour certifier son arrêt à la pompe, pourrait-on dire. La pizza commandée ailleurs était aussi au programme. Gourmand mais efficace, tant dans son organisation qu’avec sa forme physique. Oui, il a aussi prévu de se goinfrer de kilomètres supplémentaires en prenant le départ de la 110 MXtrem de Montreux samedi matin aux aurores. Soit 500 km au total, comme 3 autres coureurs, après les 390 km du Crossing Switzerland.

A savoir : Le futur vainqueur le Japonais Wataru IIno, donc 1er et 18ème du M XTrem 110 km, le Français Julien Geoffroy qui finit 10ème et 75ème, le Polonais Krystian Pietrzak 28ème et 79ème. Le Suisse Roman Bruschweiler, après une excellente 15ème place au Crossing, va être hors délai après plus de 80 km du M XTrem 110. Il faut dire qu’il s’est finalement décidé que quelques heures avant le départ et qu’il n’avait quasiment pas dormi avant. Chapeau tout de même d’avoir essayé et d’avoir fait encore autant de km.

Julia va peiner dans la partie technique de cette descente, après les sentiers faits de bouts d’ardoise pilée, faciles et rassurants malgré le vide des premiers mètres. Dans la nuit, elle ne voit pas la profondeur de l’abîme et c’est un trompe la mort. Il ne vaut mieux pas s’appuyer sur ce mur noir, fait d’air non éclairé qui ne vous retient pas mais vous entraîne ailleurs. Là, d’où l’on en revient rarement. Philippe l’a rattrape là où elle cherche en fait la suite du sentier, à mi-pente avant le lac d’Oeschinen. Plusieurs fausses pistes partent à flanc de côteaux, en diagonale, à la verticale. A présent, c’est un peu herbeux et ce sont les traces des bêtes qui pâturent parfois qui ont fait ce dédale de passages mettant la terre à nu, à force de graviter dans ces pentes si raides qu’au passage du bétail, la terre s’efface sous leur poids. Pour certains participants, ce sera le brouillard qui sera handicapant. Ils seront à tâtonner où savoir et comment poser les pieds, cherchant aussi la direction du chemin. L’épaisseur et la moiteur de l’air avec ces gouttelettes en suspens, réduit la portée de la lampe frontale. Qui devient plus efficace portée en main, proche du sol, pour voir où l’on désire aller.

      



Sur le live, je me demande ce que fabrique Julia, car elle n’avance pas fort. Son point rouge se déplace aussi à tâtons. Roman, lui s’égare en mal interprétant un panneau de direction mal positionné. Il fait l’aller-retour du lac à la station de téléphérique située au-dessus du lac. Une fois le lac passé, la suite de la descente se simplifie. Mais la nuit avance et de suivre en live me réduit aussi mes nuits. C’est très intéressant, mais c’est prenant.

Les ravitailleurs quittent parfois le lieu de la patinoire de Kandersteg, situé à la sortie du village, à tour de rôle. Ils vont à la rencontre des coureurs, afin de les guider et les accompagner à travers Kandersteg by night. Au poste, plusieurs coureurs dorment assis le corps replié avec la tête entre les bras posés sur la table. D’autres sur ou sous les bancs de bois, ornant les murs. Point de matelas, mais comme c’est la 4ème nuit déjà, le besoin de dormir est plus fort. Julia arrive en 24ème position, toujours 1ère femme avec une avance de 3 h sur Fanny, la 2ème. Elle a l’air bien fatiguée. Après un bouillon aux vermicelles, une tranche de gâteau aux pommes apportée par mes soins, elle essaie de se reposer, couchée sur le dos à même le sol. Philippe repart seul, aussi après une mini sieste aussi sur le dos à même son petit matelas destiné à un massage dorsal, grâce aux empreintes métalliques pour fakir. C’est ce à quoi ça me fait penser. Julia, qui n’arrive toujours pas à dormir, s’en va 20 minutes plus tard. Près de 76 h d’effort.

Dans la montée menant au col Bunderchrinde (2382 m) au pied du Clyne Loner (je fais exprès de vous faire lire les noms que vous adorez prononcer) après avoir gravi les pâturages du Ussere Ueschene, où Philippe subit d’un coup ce qu’il appelle un black- out, ne sachant plus trop ce qu’il fait là et ni pourquoi ni comment il est arrivé jusque-ici. Julia le retrouve et le laisse recouvrer ses esprits avec une sieste à l’hôtel des milles étoiles. Il dormira environ 2 bonnes heures. C’est du moins aussi l’écart qu’il accuse à Adelboden sur Julia. Elle se trompe un peu de chemin à l’entrée du village, faisant un petit détour. Je la guide à nouveau par téléphone, ayant aperçu cette erreur sur le live de la course. Julia a augmenté son avance à 4 h sur Fanny. Sans doute en rabotant un peu le temps de dormir. Elle n’arrive jamais à dormir ce qu’elle voudrait, et ne s’endormant pas, préfère se remettre en chemin.

A Adelboden, il est 9h30 du matin lorsqu’elle y arrive. Elle a l’air moins stressée qu’aux postes de début de parcours. Mais ne fait pas trop long non-plus, après avoir mangé un bout de gâteau au fromage que je lui ai acheté dans une boulangerie. Celui aux pommes, elle va l’emporter pour le manger en route. Des petits luxes pour la changer de ce qui se trouve sur les ravitaillements. L’avantage de bénéficier d’un accompagnement sur les postes de ravito. A ce poste, elle aura 4 h et 7 h d’avance sur ses 2 poursuivantes. Je pense qu’elle a un bon petit matelas de sécurité, question temps. Ça se précise pour elle, à mesure qu’elle se rapproche du but. L’avance augmente toujours un petit peu. C’est bon signe.

A Lenk, le ravitaillement qui fait office de base de vie, se trouve à l’écart du village, tout de suite au bas de la descente qui suit en partie les pistes de ski. Les écarts se sont réduits d’une demi-heure. Difficiles à interpréter. Le tracé devient de plus en plus facile, entre Adelboden et La Lenk, les chemins sont larges, carrossables pour la plupart. Seule la descente reprend des sentiers, mais ils sont herbeux, dans les pâturages dans la partie supérieure et en forêt dans la partie inférieure. Mais pas difficiles. La technicité ne joue pas un rôle déterminant. Julia décide de dormir une heure, mais comme précédemment ailleurs, elle revient après 45 minutes, disant ne pas arriver à dormir. Ça ne me plaît pas trop, car sans vraiment dormir, le corps ne récupère pas. Il faut vraiment arriver à déconnecter le cerveau, ne serait-ce que 15 à 30 minutes pour déjà avoir l’impression d’être refait un peu à neuf avec une énergie nouvelle qui nous porte quelques heures.

En somnolant, on est seulement un peu reposé pour aider les yeux à rester ouverts. L’impression d’avoir retrouver des forces n’est pas au rendez-vous.

Jusqu’à Gstaad, seule la montée initiale pour passer le Trütlisbergpass est exigeante par quelques endroits plus pentus. Le tracé est somme toute assez roulant. Julia ne court pas beaucoup sur ce tracé qui pourrait le permettre, du moins dans la longue descente sur Gstaad. Beaucoup de chemins ou de petites routes. Philippe revient sur Julia et ils vont finir ensemble ce tronçon, se faisant une petite variante à l’entrée de Gstaad. Pas toujours facile, de nuit, de suivre le bon tracé de la via Alpina, sans marquage réfléchissant. Il faudrait consulter à chaque carrefour si on suit le bon chemin. Et en course, cela fait perdre beaucoup de temps et use la batterie du téléphone. Les courtes pauses aux postes ne sont en général pas suffisantes pour recharger les batteries. Une ou plusieurs petites barres de recharge à prendre dans son sac à divers points du parcours sont peut-être utiles pour recharger la montre-GPS ou le natel. La fatigue semble se faire ressentir chez Julia. Elle n’essaie même pas de dormir, où bien des coureurs font une sieste. Elle est toujours 23è du scratch, 1ère femme avec 4h et 9 h d’avance sur les 2 et 3ème femmes, toujours Fanny et Weronika.

Mais le temps perdu par elles l’a peut-être été par une heure ou plus de sommeil. Qui signifie regain d’énergie. Qui se transforme par vitesse supérieure de déplacement. Chaque coureur doit évaluer sa possibilité de pouvoir tenir un rythme satisfaisant pour garder son avance sur les autres, s’il veut conserver son classement. Ce sont des calculs de vitesse, de km restant à parcourir. Et de perte de vitesse mais en tenant compte des heures d’avance. C’est prévisible. Jusque-là, Julia semble assez hors de danger.

Elle repart seule de Gstaad, n’étant pas prête au moment où Philippe repart accompagné par Romain, arrivé juste après eux. Elle va jardiner, comme on dit, plusieurs fois jusqu’au Col de Jable. Elle téléphone à l’organisation pour essayer de savoir où elle se situe par rapport au tracé, afin de le retrouver. Elle perd pas mal de temps, je peux constater qu’elle n’a pas beaucoup avancer. Lorsque je reprends le live, je constate qu’elle est en train de se tromper en partant droit en bas, à l’alpage qui suit le col. Je lui téléphone, elle remonte à l’alpage. La connexion est mauvaise. On ne se comprend pas bien. J’essaie de lui dire qu’elle doit repartir sur sa gauche, une fois arrivée devant le gros bâtiment allongé, probablement l’écurie. Ok, elle reprend le bon chemin, mais toutes ces hésitations, ces erreurs de parcours, la fatigue, le manque de lucidité, je le remarque au téléphone, font que son avance fond. Fait que je deviens stupéfait. Fanny avale son retard qui vit son agonie.

Julia semble scotchée, Fanny semble voler en comparaison. Il y a problème. Perdre autant de temps sur 17 km paraît incroyable. A l’Etivaz, dernière base de vie située à environ 42 km de l’arrivée, Julia repart alors que Fanny arrive quelques 5 minutes plus tard. Elle paraît fraîche en comparaison de Julia, très fatiguée. Julia a aussi des jambes méconnaissables, entièrement gonflées d’eau. Je pense à cet instant, que ça va être très compliqué pour Julia, si elle veut garder sa place. Il va falloir qu’elle arrive à accélérer, sinon, elle va la perdre, cela paraît évident. Fanny n’est pas stressée au ravitaillement et quelques 20 minutes plus tard que son arrivée, elle reprend son chemin. Sur le haut de Château d’Oey, à la sortie du village, 4 km environ avant Rossinières, Julia a encore 1 km d’avance. Au ravitaillement de Rossinières, elle arrive en tête, suivie à une dizaine de secondes par Fanny. Qui repart en tête. La suite, vous l’avez lue en début de rapport.

       

Julia va connaître beaucoup de difficultés après le Col de Chaude. Atteinte de grosse fatigue, va devoir dormir 2 fois environ 1 heure jusqu’à l’arrivée à Montreux. Se perd aussi dans la descente et hésite à de nombreux points. Son rythme bien cassé par des pieds très douloureux, des appuis à l’avant des pieds qui lui créent des souffrances à chaque pas. Avec la technicité de la descente des Rochers de Naye, de surcroît de nuit, elle n’avance qu’au ralenti. Tel quelqu’un étant mal chaussé, n’ayant aucune habitude de faire de la randonnée et sans physique sportif en plus. Je me demande comment c’est possible d’aller si lentement.

Mais la douleur, les douleurs cassent un athlète à sa plus lente progression possible. Julia ne se plaint même pas, lorsqu’on lui téléphone pour une erreur de parcours qui l’oblige à remonter une centaine de mètres de dénivelé. Ni, pour dire qu’elle en a marre, ce qui serait compréhensible dans de pareilles conditions. Non, elle reste concentrée, le désir d’en finir certes, car elle se rend bien compte que ce n’est pas gagné. La ligne d’arrivée se fait désirer. Et à 2 km de l’arrivée, elle perd encore sa 2ème place.

Effectivement, quand le corps n’en veut plus, les heures fondent comme un cube de glace au soleil de la canicule.

Elle perd, pour indication 5 h de temps sur Weronika depuis Sautodoz, le dernier contrôle après les Rochers de Naye. Et il ne reste que 12.8 km. Weronika met 3h45 pour en descendre. Philippe 2h50, avec qui elle a souvent été au contact ou parcouru plusieurs kms. Fanny descend en 2h45. Julia a besoin de 8h50, en dormant une heure sur les hauts de Caux. D’analyser cela me rend profondément triste pour Julia. Elle, s’en désintéresse. Elle sait qu’elle ne pouvait pas mieux faire. Elle était juste contente de se rapprocher à chaque pas de quelques dizaines de centimètres de la ligne de la délivrance. La ligne d’arrivée.
Chapeau pour ce mental. C’est impressionnant d’avancer ainsi. C’est impressionnant aussi d’accepter cette dégringolade de forme qui en vase communiquant, accumule des heures à son résultat final. Personnellement, ça me fait très mal pour elle. Ma raison a de la peine à accepter ce scénario. Cela me semble incroyable, impossible. On se dit qu’il faut faire exprès. Et pourtant non. Et ça s’est passé ainsi.

Julia finit en 128 h 01.05, 3ème femme, 42ème du scratch. Avec tout mon respect et mon admiration.

Une semaine après, au moment de finir ce compte-rendu, elle peine toujours beaucoup à marcher. Les espaces entre les appuis du devant du pied et les orteils lui créent des douleurs qui la freinent dans ses déplacements. Elle a comme des ampoules, mais internes.
Elle n’a pas d’infection, on ne voit rien de spécial. Elle n’a aucun mal sans mettre de poids ou de pression à cet endroit. Seulement en se mettant debout et en se déplaçant.  

  

Clt. par points crossing switzerland - crossing switzerland - LiveTrail®  : pour les classements intermédiaires par postes de contrôle et de ravitaillement.

Coureur 61 - Julia FATTON - crossing switzerland - LiveTrail®  pour consulter la progression de Julia, les classements à chaque poste, etc…

95 personnes ou groupes de duos/trios classés, ce qui fait 103 personnes qui ont réussi l’intégralité du parcours dans le temps imparti. (4 Duos, 2 Trios)

L’ultra trail, comme l’ultra sur route est à l’opposé de l’ère actuelle du Tout tout de suite. Parmi les finishers, il aura certainement fallu à nombre d’entre eux être patient et savoir accepter d’arriver plus tard que la planification établie. De louper l’apéro planifié, de louper la chambre d’hôtel réservée à Montreux ou son train pour reprendre le chemin de son domicile ou le travail au plus vite. Là, ce n’est pas d’un clic qu’on résout son problème, mais de nombreux cliquetis supplémentaires des pointes des bâtons, car il reste un ou 2 cols à gravir et à redescendre. C’est un bon remède pour se ressourcer et sortir du stress des vies que nous menons. Nous, mais non, nous vivons sans stess diront certains. Oui, quelques-uns ne sont peut-être pas concernés mais ils sont rares et chanceux. La compétition engendre du stress diront d’autres. Oui, mais à mon avis, il s’estompe bien vite dans un ultra. On en sort ou on explose vite fait. S’il existe à certains moments, je le trouve de toute autre nature et je le trouve dépaysant, je dirais même sain, pour oublier alors vraiment tout le reste. Et ensuite être apaisé. L’esprit en paix.
Bon je m’égare, je risque de faire arriver mon rapport à la Tour de Peilz, et non à la ville de Montreux sa proche voisine.

Où pour conclure… il faut dire :

Bravo à elles et à eux, les coureuses et les coureurs, participants et finishers,  à toutes et tous bravo.
Bravo aux bénévoles et à l’équipe d’organisateurs, d’organisatrices, d’avoir mis sur pied cet événement, où les sourires et la joie d’être là étaient dominants parmi toute cette troupe s’abreuvant aux nombreux plaisirs qu’offre le monde de l’ultra trail et y baignant par style de vie.
J’espère en être l’an prochain, non pas en rapporteur privilégié d’avoir pu observer et analyser, mais en coureur. Malgré les écueils aussi observés, les ampoules, les grincements d’articulations, la fatigue, l’égarement, l’écoeurement de manger, de boire, les hallucinations, les questionnements du pourquoi on s’inflige de pareils efforts, les doutes, les peurs de l’orage, les frottements du sac sur le dos, les piqûres de guêpe, de taons, les oublis de matériel ou de nourriture aux bases de vie, le réseau téléphonique qui empêche de téléphoner une fois perdu dans la montagne de nuit de sucroît etc… etc… . Doit-on être interné, comme le disent certains observateurs ?

Christian Fatton, Noiraigue, 01.08.22/05.08.22,

Pour Julia et pour donner quelques images de cette course aux futurs candidats