SwissPeaks 2021

367 km non-stop entre Oberwald et le Bouveret par les cols et fonds de vallées, du Glacier au Léman

SwissPeaks 360, édition de 2021. Mon retour pour une 2ème tentative que j’espère à nouveau réussie. J’étais assez nerveux ces derniers jours. L’endormissement perturbé à me refaire le parcours avec les différents points de ravitaillements, les passages de cols, les passages difficiles et techniques. Refaire mon tempo horaire pour essayer de gagner du temps au début sans aller plus vite pour autant, pour essayer de passer de jour la partie Grand-Désert, Col de Louvie, qui reste ma hantise. Cette descente dans la nuit avec du précipice sur notre gauche, le passage des gros blocs de rochers à plusieurs endroits fait pour se briser les os en cas de chute. Du reste ça sentait la charogne et effectivement je découvre une patte d’ongulé avec la dernière partie de la jambe. Bref, l’endormissement va se faire une fois que je me dis, là c’est ok, je crois que je suis au point dans la préparation et que tout paraît sous contrôle et le nécessaire est effectué. Dimanche matin 29 août, petit déjeuner bien garni au programme. Je mange un petit encas, miche-chocolat peu avant le départ à 12 h sur la route principale d’Oberwald. Les sommets sont un peu saupoudrés de neige. Je suis aux avant-postes pour pouvoir être plus vite à l’aise et ne pas subir le rythme des autres. J’estime aussi être à ma place avec le résultat effectué en 2019, 17ème final, 15ème homme, 1er de ma catégorie.

Cela part bien assez vite mais je ne suis pas trop cette euphorie trop longtemps. Je me calme pour ne pas être trop essoufflé. Je m’amuse à descendre rapidement jusqu’à Ulrichen, au premier ravitaillement. Depuis Reckingen, lieu du 2ème ravito au 27ème km, je suis content de suivre un nouveau tracé plus joli dans une pente boisée. Cela nous fait monter plus haut et effectuer davantage de petites arêtes successives. Un passage aérien en descente me tétanise un peu. J’ai redépassé Adrien Schlüchter dans cette montée. Il m’a dépassé à une allure nettement plus rapide avant Reckingen, 4 km auparavant. Le plateau en légère pente du Chumehorn direction Chäserstatt ne me convient pas, c’est herbeux avec plein de trous et cela me fatigue rapidement avec mon pied droit à davantage lever pour ne pas m’encoubler. Kurt Nadler et Yvonick Chédel me rattrape dans le début de descente sur Chäserstatt. Je vais les revoir souvent, avec Kurt, on n’est souvent pas loin de l’autre en compétition.

A la première base de vie, à Fiesch, au 50.9ème km, nous retrouvons notre sac suiveur et nous devons intégrer à notre équipement de course, une veste Doudoune car de grands froids nocturnes sont annoncés. Je mange en compagnie de Kurt et Yvonick. Arrivés après eux, je repars avant. J’essaie d’être assez rapide aux ravitaillements. Plusieurs vont le constater et m’en parler. C’est toujours ça de gagné. Au hameau après Fiesch, je pars à gauche à un carrefour, à la montée ne voyant pas de balisage et aucune flèche de marquage au sol. Au loin, ça brille grâce au faisceau de ma frontale. Je fais 200 m et ce sont des bornes de sécurité routière. Retour au carrefour, Laurent (de Bretagne) arrive et il voit un drapeau dans une rigole…Nous restons ensemble pour 40 minutes environ et en discutant, nous ne remarquons pas le balisage qui oblique fortement sur notre droite pour escalader la côte, presque droit en haut. C’est à l’arrivée vers une église qu’on se décide à faire demi-tour. Plus de 700 m pour rien, soit 1.5 km en aller-retour. La montée est longue et raide jusqu’au Saflischpass. Je vois des lumières très hautes et ça sape un peu le moral, il vaut mieux parfois ne pas trop savoir ce qu’il reste à faire et se contenter d’avancer. Et subitement, je suis sur le sommet, un replat, tout en haut et la lumière est toujours là-haut ! C’est en fait l’Etoile du Berger ! Je trottine déjà plus que légèrement sur le chemin d’alpage descendant un peu. Plusieurs barrières de vaches se succèdent, passer dessous, ouvrir, refermer mais surtout passer dessous avec un sac touriste, c’est un bon moyen de constater la souplesse du corps qui s’en va je ne sais où…Dans la montée finale du Saflischpass, Kurt et Yvonick me rattrape alors que je suis assis à manger des biscuits complets, mais trop secs pour les manger sans boire en même temps. Et avec les bâtons dans la main, les biscuits dans l’autre, je préfère m’arrêter pour boire en même temps, poser les bâtons et tenir ma gourde. A moins d’être munis de tentacules, ça m’était difficile. A Fleschboden, je déguste un petit peu la tartiflette qui ne m’avait pas trop convenu 2 ans avant. Je descend jusqu’à Grund sans problème et casse la pointe de mon piolet…Je vais l’utiliser malgré tout, il glisse sur les cailloux mais il remplit son rôle d’aide à garder l’équilibre et je peux aussi m’appuyer dessus à la montée pour me tirer un peu avec les bras. La montée sur le ravitaillement de Lengritz, très raide ne me convient pas mieux cette année. Je suis à 4 pattes pour me tirer parfois. Je suis sans force. Même problème. Cette montée ne me réussit pas et cette année, impossible de dormir un peu, le ravitaillement est sous une tente, assez étroit. Donc je repars à la suite d’Adrien qui vient d’arriver mais qui n’a rien consommer. Je vais l’apercevoir après 250 km, dans la montée de la Fenêtre d’Arpette. Mais on verra ça plus tard. La portion jusqu’à Giw, avec une descente et une remontée au Gibidumpass s’effectue assez lentement. Manque d’énergie, douleurs fortes à l’aine et au genou gauche. Je fais la connaissance et un bout de chemin avec Pirin, de Bulgarie. Il a fait plusieurs éditions de la Swisspeaks. Il me raconte un peu sa vie en anglais. Je l’encourage à me quitter pour aller plus vite à son rythme. Finalement, il s’y décide, je le retrouve au ravitaillement de Giw avec Luca Papi avec qui je discute un peu. Il me dit de ne pas m’en faire pour mon énergie, elle va revenir, me parle de mon expérience etc… Ces mots venant de sa part me réconfortent pas mal, je doutais quand même un peu. Lui est parti très lentement, me disant avoir le temps. Il va enchaîner avec le Tor des Glaciers dans une semaine et demie… 450 km en non-stop dans la vallée d’Aoste dans le cadre du Tor des Géants. Lui est bien un géant. Bircher et café font leurs bons effets respectifs, à savoir bien me remplir l’estomac et me redonner du pep. J’espérais arriver à Eisten à 104 km pour midi au plus tard, j’y arrive à 11h59…Cela veut dire que j’ai été un peu plus rapide cette année de 2 h, et toujours avec des problèmes d’énergie. Après une brève halte pour manger des pâtes, comme à Fiesch, je repars à l’assaut de l’Hannigalp, une belle montée bien raide de 1200 m. Au ravitaillement, Pierre-André Maillard, devant moi depuis le début, est là, et repart illico. Il fait la course pour le podium de ma catégorie. A mi-hauteur de l’Hannigalp, arrivé à 40 m de lui, me voyant, il repart de plus belle. Je le retrouve à Grächen, au ravitaillement. Un rapide en cas et je m’en vais avec les gourdes remplies le plus souvent de sirop. Dans la descente, Pierre-André, me dépasse. Je reviens sur Kurt et Yvonick sans les dépasser, car je m’arrête à la même fontaine qu’eux pour me rafraîchir la tête. Pierre-André est en discussion au téléphone dans le bas de la montée qui mène à Jungu. Je suis Kurt et Yvonick à distance de 3-4 minutes environ. A l’entrée de Jungu, je dors 20 minutes pour la première fois du Swisspeaks, dans l’église, sur une couverture trouvée là et 2 placets en tissu en guise d’oreiller. Au ravitaillement, Kurt et Yvonick repartent avant moi qui m’en vais juste avant Pierre-André. Un Italien est peu devant moi et un peu devant lui, encore 2 coureurs qui avancent ensemble. Des taches de sang jalonnent le sentier régulièrement. Cela va m’arriver de saigner du nez lors de la dernière nuit entre la Porte de l’Hiver, au-dessus des Crosets et Morgins. Celui qui à mon avis saigne du nez et son copain se sont arrêté dans un trou, pour se protéger du vent froid et s’habiller davantage, à une heure de marche du sommet du Augsbordpass qu’on voit devant nous. Une bonne heure de marche si on est habile à sauter d’un bloc de rocher à un autre. C’est presque discontinu jusqu’au bas de la montée finale. Cette année, je m’en sors mieux qu’en 2019. Je rattrape au lieu d’être rattrapé. Je dépasse l’Italien à la fin des pierriers, avant la montée finale au col. Lui comme moi, nous nous arrêtons 2 fois pour remettre une couche. Je remplace mes fins gants de jour (pour me protéger des chutes) pour enfiler les gros gants de ski, bien hermétique à l’air. Le Buff protège en partie le cou, le bas du visage jusqu’à la bouche et la partie entre le cou et le bas du bonnet. Le vent est fort et glacial. J’ai mon sweat-shirt, un coupe-vent, une veste de pluie et ma Doudoune. Et ça va parce que ça monte, sinon, j’aurais froid. J’espérais passer ces nombreux pierriers de jour et c’est réussi. Je sors ma lampe au sommet à 20h30. Je perds 7 minutes à chercher la 2ème en vidant par 2 fois mon sac. Elle est restée autour de mon cou, coincée sous le haut du t-shirt depuis hier soir. Le comble… Je fais une excellente descente, seul un coureur me rattrape dans le bas, peu avant Gruben. Je voyais des lumières derrière moi, mais il faut cacher le faisceau lumineux avec sa main, car sinon on peut croire voir des lampes, donc des coureurs, mais ce sont les scotchs luminescents qu’on prend pour des lampes.

Avec le froid qui règne chaque nuit et spécialement à chaque passage de cols ou de sommets, et le vent qui souffle, nous souffrons pour la plupart des coureurs que je côtoie durant la course, de langues sensibles, de lèvres comme brûlées, de nez qui saignent facilement, de bronchite. Les crachats suite aux crises de toux sont parfois de vrais œufs au plat. Les écarts de température avec le jour sont assez importants, nous avons la chance d’avoir un temps sec sans précipitations. Au ravitaillement de Bluömatt, je retrouve Kurt, Yvonick et Anita Lehman, la triple vainqueure du SwissPeaks 360 (et la future quadruple vainqueure, Bravo Anita, fantastique). Je mange une raclette, 5 pdt, et je repars après 2 cafés. J’en bois régulièrement de nuit pour aider à rester éveillé. Une boisson énergisante sortie de mon sac va aussi m’y aider lors de chaque nuit. Je pars rapidement et Anita me rattrape à mi-côte environ. Nous discutons 3 mots. Je n’essaie pas de la suivre. Mon moteur est d’une génération différente. Je rattrape peu avant le sommet, Gilles Samuel, nous faisons souvent des bouts ensemble, comme au Swisspeaks 2019 ou au Montreux Xtrem 2017 sur les 160. A Forclettaz, à plus de 2900 m, peu de vent et pas trop froid, je n’ai pas besoin de me vêtir pour la descente. Ce sera sans doute le seul col agréable de nuit à passer. Il y a 2 ans, c’était tout le contraire depuis déjà la moitié du col. A Tsahélet, je retrouve Anita au ravitaillement, moi je ne fais que remplir ma gourde, emporter un truc à manger facilement, deux gros doubles carrés de chocolat et je repars. Anita m’emboîte le pas et Gille dit devoir s’arrêter un moment. Il n’y a qu’une tente plantée sur un pâturage. La descente sur Ayer débute par un long parcours à flanc de côteaux mal balisé, les moutons ou les vaches ayant fait leur 4 heures avec les fanions. A Ayer, je me trompe pour la 3ème fois et cela m’énerve. A l’endroit où on devait descendre plus bas, une flèche en sens contraire à notre parcours indiquant ravitaillement, une vieille marque pour une autre course. Les drapeaux étaient cachés par le mur… aucune petite flèche au moins 1 à 2 mètres avant pour nous dire de bifurquer. Ce n’est qu’à la fin du village que je consulte mon iPhone avec le tracé GPS sauvegardé pour voir où est ma position par rapport au tracé qui doit nous conduire à Griment. Peu avant mon retour au bon point, je vois Gilles qui s’arrête et consulte son GPS. J’ai perdu près de 10 minutes pour faire environ 2 x 400 m et consulter mon iPhone. Je rattrape Gilles peu après le pont suspendu au-dessus de La Borgne. Le chemin jusqu’à Grimentz n’est pas le plus intéressant. J’aimais mieux le parcours de 2019 qui nous faisait passer par Zinal. A Grimentz, je décide de dormir pour la 2ème fois. J’y consacre 30 minutes avant d’aller manger au réfectoire et de m’en aller grimper jusqu’à la Cabane des Becs de Bosson. Un duo me rattrape et me dépasse mais ils grimpent en s’arrêtant parfois, de sorte que je les dépasse au petit col qui précède le promontoire de la Cabane qui nous tend les bras pour un ravitaillement. Le sol est bien gelé et les derniers mètres demande de la vigilance pour ne pas glisser sur une plaque de glace, dans les rochers. J’ai quelques difficultés à manger le pain qui ne veut pas descendre. J’étais aussi particulièrement essoufflé pour gravir les 200 derniers mètres de dénivelé, comme à Langritz, lors de la nuit passée…Nous avons assisté au lever du soleil. La vue est juste magnifique avec plusieurs 4000 m enneigés et d’autres alpes presque aussi hautes. La descente jusqu’au Pas de Lona, à 30 minutes environ nécessite une petite remontée d’une bosse. Etrange de voir que je n’arrive presque pas à souffler. Depuis le Pas de Lona à l’A Vieille, c’est toujours pareil en descente. Est-ce le froid qui me dérange pareillement ? Avant Lengritz, hier, il ne faisait pas si froid en dessous de zéro. Mystère. La descente jusqu’à Evolène est ensuite en forêt, assez longue mais agréable pour les pieds sur des tapis d’aiguilles ou de la terre mais peu en cailloux. C’est nettement plus agréable pour les pieds. Gros coup de moins bien arrivé peu avant Evolène. Je chute sur un tapis de terre transformé en farine et risque de briser les bâtons car je leur roule dessus et le sol forme un léger creux… et le carbone n’aime pas être plié. Je me relève dans un état déplorable, noir de cette terre en poussière qui colle à mes habits. Je me lave un peu les mains avec le sirop d’une gourde. Les derniers mètres avant Evolène me sont pénibles et je suis encouragé en traversant le village. Les gens me demandent si ça va… je suis sale comme un cochon et j’imagine que ma tête mal rasée et certainement poussiéreuse et marquée les interpelle. Faudra faire avec. Une fontaine fera l’affaire pour laver un peu le pantalon et me rafraîchir le visage. Au ravitaillement d’Evolène, j’ai besoin de souffler un peu. On m’installe dans un fauteuil très confortable et on est aux petits soins avec moi, à me servir et me tenir une très agréable compagnie. Je suis le seul coureur durant un bon moment, avant qu’arrive Katia Fink, la future 4è femme. D’être si bien choyé m’aide à retrouver des forces mais ne m’incite pas à quitter les lieux rapidement. On me propose une bière que je ne refuse pas… bien au contraire, quel bien elle me fait. Et je ne la sentirai pas me faire faire des contours supplémentaires. Julien et Michael repartent de là, une bonne demi-heure avant moi qui m’arrête une heure environ, dont 20 minutes à dormir et encore 10 minutes peu avant de partir, le temps que le café refroidisse un peu.… ils sont arrivés peu avant moi.

IL fait bien chaud lors de la montée sur Chemeuille. Je suis derrière Katia, que je vais voir depuis là durant plusieurs jours. La dernière fois dans la montée de la Fenêtre d’Arpette et sauf erreur à Finhaut mais elle est sur le point de partir quand j’y arrive. A Chemeuille, d’où on peut apercevoir le Cervin, je fais rapide au ravitaillement, car mon but est d’arriver le plus tôt possible à la base de vie de la Grande-Dixence et la descente du Col de la Meina, que j’atteint seul et sans voir quelqu’un derrière moi, est très pénible techniquement dans sa partie supérieure. Ce n’est pas facile d’avancer, le sentier est étroit et bien jonché de cailloux et de blocs de rochers à passer d’un à l’autre. C’est un tronçon assez long et il faut économiser un peu sur la boisson pour en avoir de Chemeuille à Grande-Dixence. De plus, il ne m’amène que peu d’énergie, le coca qu’on m’a donné car il a été coupé à l’eau. Arrivé au pied du becquet de la Grande-Dixence, je retrouve Julien et Michael, qui donnent des gaz et me distancie. A la Grande-Dixence, je mange des pâtes en changeant les piles de ma lampe pour la nuit à venir. Ma lampe est toute neuve, achetée spécialement pour le Swisspeaks 360, avec 4 piles AA. Cette Black Diamond me permet de tenir une nuit entière de 20h30 à 6h30 ces jours de fin août début septembre. Ma précédente lampe, introuvable sur le marché actuellement était une Petzl avec 3 piles AA et elle tenait déjà une nuit complète. Une sangle passe par-dessus la tête, et cela fait qu’on ne doit pas trop serrer l’élastique du bord de tête et c’est bien plus agréable. Mes gourdes sont pleines de vrai coca. La table est inondée et je ne comprends pas vraiment pourquoi, A-t’on secoué mes gourdes qui pissent par le pas de vis ? Non, en fait, un minuscule trou est situé en milieu de gourde. Sûrement le résultat de ma chute avant Evolène. Je la change avec celle de réserve que j’ai dans mon sac suiveur. Par 2 fois, une dame est venue essuyer cette inondation, ne comprenant pas très bien non-plus. La table et le sol sont bien collant. Après 45 minutes d’arrêt à manger et remettre des victuailles sorties de mon sac, bu mon Monster, je vais prendre l’air sous une minuscule pluie à l’assaut du Col de Prafleuri. Un vieux bouquetin broute à une trentaine de mètres du sentier, seul et il ne daigne même pas tourner la tête quand je siffle un peu et lui dis bonjour. J’arrive au Col à 19h55, il me reste 35 à 40 minutes de jour pour traverser la partie très technique jonchée d’éboulis, de pierres et de rochers jusqu’au ravitaillement du Grand-Désert, peu avant la montée du Col de Louvie. J’y arrive à 20h45, 5 minutes après avoir allumé ma lampe. Très content de mon tempo et du fait de n’avoir pas dormi à Dixence, afin d’avancer au maximum de jour dans cette partie, assez moulin à os… pour les genoux et les chevilles et les pieds qui souffrent bien dans ces cailloux. Rémy, de Voiron, y repart au moment de mon arrivée. Dans la descente du Col de Louvie, je vois sa lampe par moment. Un cadavre, plutôt une patte de bouquetin (selon la faune qui vit dans ces rochers et la couleur du sabot) en décomposition empeste les lieux. C’est encore bien plus difficile d’avancer en bas de ce col que nulle part ailleurs de la SwissPeaks, surtout si l’on y passe de nuit. Déjà en 2019, j’y étais de nuit mais depuis la Grande-Dixence. Cela m’avait coûté davantage de temps, car le Grand-Désert est aussi mieux à faire de jour. La descente paraît interminable à crapahuter entre les blocs de rochers, parfois on passe dessus, parfois sur les côtés et bien souvent le vide est sur notre gauche, prêt à nous aspirer dans son trou noir. Je retrouve Rémy environ 1 heure avant la Cabane de Louvie. Il a dû s’arrêter, me dit-il, 2 fois pour dormir 5 minutes, car avec la fatigue, il avait un peu souci de l’accident et de la chute qui peut être fatale. Mon pied gauche me fait de plus en plus souffrir et peu avant Fionnay, je m’arrête, ouvre ma chaussure gauche et enlève partiellement ma chaussette pour y déposer un liquide graisseux, d’une bouteille trouvée peu avant sur le chemin. Sûrement qu’un coureur l’a perdu auparavant. Une grosse cloque s’est aussi formée à l’arrière du pied gauche, A Plamproz, atteint en pleine nuit vers les 1 h du matin, je mange plusieurs tranches de tourte aux noix, un de mes péchés mignons, 2 yoghurts et diverses bricoles sucrées salées. Il y a une tente pour dormir avec des lits de camp, mais la tente est grande et non-chauffée et il n’y a pas de couverture. Donc, j’enfile mes 4 couches d’habits pour le haut du corps et j’enroule tant que faire se peut, la couverture de survie autour de moi sur le lit de camp. Rémy et moi avons demandé à être réveillé après 45 minutes. Je demande au réveilleur du ravitaillement qu’il revienne 15 minutes plus tard, avec les douleurs des tendons, des adducteurs et des dessous de pieds, cela m’a empêché de bien dormir. Le froid n’incite pas à rester trop longtemps inactif alors je repars rapidement pour me réchauffer par l’effort. Sitôt que la pente s’élève, je peux enlever les couches supérieures. Je rattrape Rémy après 1h15 peu avant notre arrivée à la Cabane Brunet. Là il s’arrête pour se rhabiller, moi je continue. Jusqu’à la cabane de Mille, le terrain est très varié, des petites bosses, heureusement peu de cailloux, un chemin assez sympa pour nos pieds. A la Cabane de Mille, je dors dans un sofa sitôt arrivé avec les pieds surélevés sur un tabouret et au chaud sous une couverture, dans le vestiaire des chaussures de la cabane. Ensuite, 2 petits sandwichs au salami, 2 autres au fromage et 2 autres au parfait me remplissent l’estomac pour la longue descente sur Orsières. Et une petite remontée assez sèche pour atteindre Prassurny. J’y mange deux sortes de cake bien bons mais j’aurais aimé aussi pouvoir y manger des pâtes. Il est onze heures et j’ai devant moi la Fenêtre d’Arpette…qui représente une belle montée d’environ 1800 m de dénivelé depuis Orsières. Un petit replat pour traverser Champex Lac, une belle forêt puis une prairie et enfin la montée finale sur un chemin fait d’éboulis et pas facile. Je passe sur les détails, mais j’ai eu le malheur de lire des messages sur mon iPhone… dont un qui me dit que le premier de ma catégorie n’est plus qu’à 25 minutes devant moi à la Cabane de Mille. Et 30 minutes à Prassurny. Bien que j’aie répondu qu’on est des zombies et que si je dois le rattraper, cela se fera naturellement, l’idée d’aller chercher Adrien Schlüchter suite à ces échanges de messages me trotte dans la tête. Un germe qui me sera fatal pour espérer le rattraper définitivement. Sur ce genre de course, on y va beaucoup à la sensation et je dirais même qu’on ne doit pas trop souvent être dans le rouge. Je le savais, je le sais et je fais tout faux. Je commence à tirer sur le corps, les bras qui tire et pousse un peu derrière grâce aux bâtons, les jambes répondent bien et me tirent rapidement vers le haut, le souffle suit mais j’ai chaud… bien assez chaud. A Champex, je m’arrose la tête à chaque fontaine qui borde le lac. Parfois, je demande à des randonneurs s’ils ont vu un gars de mon âge, assez sec. Mais vous êtes tous secs, qu’on me répond. Enfin, un couple me dit, oui, mais ça fait bien un moment… 20 à 30 minutes peut-être. Dans le vallon qui mène au Col de la Fenêtre d’Arpette, je l’aperçois plusieurs fois et il n’est plus qu’à une dizaine de minutes devant moi alors que je ne suis plus qu’à 30 minutes du haut environ. Et puis… je m’arrête, m’assieds, tout tourne autour de moi. J’avais un litre supplémentaire à mes 2 gourdes, mais j’ai beau boire et manger une madeleine, ça ne va pas beaucoup mieux en repartant. Je m’arrête à nouveau 2 ou 3 fois et j’en arrive à presque plus pouvoir avancer. Des randonneurs descendant du col me demandent comment ça va, ouais ça va que je réponds mais ça ne va pas et ça doit se voir. Ils me donnent des gels coup de fouet, une dame me donne un snickers mais je ne tiens pas debout et je me demande même ce que je fais là. Vous faîtes une course, la Swisspeaks… et cela ne me dit rien. Il n’y a pas de coureurs, dis-je, je suis tout seul… Du haut, où il y a un point d’eau 2 bénévoles viennent à ma rencontre et m’aide à gravir ce qui devait se faire en 15 minutes maxi. J’aurai mis quasi une heure pour ce dernier bout. En haut, ils m’arrêtent et me font me coucher sur 2 matelas, recouvert d’un sac de couchage déplié. J’y bois même une rasade de Williamine. Les remèdes du Valais sont naturels… mais je m’endors sur le champ. Il semblerait que j’aie fait trembler la montagne de mes ronflements. Ensuite, un bénévole m’accompagne dans la descente, pour voir si j’en suis capable, c’est raide et peu aisé. Je lui dis que ça va aller, je me suis bien appliqué à le suivre, afin qu’on ne m’empêche pas de continuer. Katia m’a dépassé au début de mes malaises et d’autres évidemment que je n’ai pas vu en dormant. Mais seul dans la descente difficile, je tombe plusieurs fois en pivotant ou en glissant sur les pierres qui roulent sous les semelles. J’arrive enfin dans la partie assez plane, peu avant la buvette du Glacier du Trient. Une journaliste, qui était à la Fenêtre d’Arpette, me rattrape. Nous nous mettons à discuter. Et de fil en aiguille, nous arrivons à la Forclaz… sauf que je n’ai prêté aucune attention au balisage et qu’il n’y en a plus. Elle téléphone à Emily Vaudan, qui a couru le Swisspeaks 360 l’an passé (3ème femme) et avec qui elle travaille partiellement pour savoir d’où il faut descendre à Trient. Depuis la buvette du Glacier… et hop, demi-tour pour ces 3 km environ. Il m’aura fallu plus d’une heure pour l’aller-retour. Je fais faire demi-tour à un Italien qui s’est aussi trompé, mais lui de quelques 300 m seulement. Ce malencontreux détour me réveille un peu de ma torpeur journalière, je n’étais toujours pas au top, car cela m’énerve vraiment d’avoir encore perdu plus d’une heure supplémentaire. Je fais quelques messages vocaux en descendant sur la route menant au ravitaillement de Trient, à quelques amis qui m’encouragent mais à qui je ne réponds jamais en course, sauf à Julia, ma femme qui me passe aussi des renseignements précieux par message. Mon téléphone est en mode avion sans les données cellulaires le plus souvent possible. Je n’ai pas trop le temps de le recharger donc j’économise au maximum la batterie. J’explique simplement qu’ayant eu un malaise, hypoglycémie assortie d’une insolation, j’ai été stoppé durant 1h30, qu’à présent tout va de nouveau et que je suis reparti mais me suis encore trompé de chemin. On peut suivre notre trace sur écran grâce à notre GPS accroché à la bretelle du sac à dos. Et on voit aussi du coup, nos arrêts ou nos écarts, bref, je tiens à rassurer mon monde.

A Trient, pour me remettre la tête en place il lui faut un petit écart… qui se nomme raclette. 3 belles raclettes, 6 à 7 pdt, un peu de chocolat et c’est reparti. Et sitôt arrêté. Il fait nuit hors éclairage, la nuit tombe et dans la forêt sombre, il me faut ma lampe, que je trouve qu’après avoir quasi vidé mon sac. Frayeur. Bon, j’avais la petite en réserve au cas où. Le rythme est meilleur grâce à un ventre plein mais pas très rapide, car je ne me sens pas en pleine possession de mes moyens, de l’équilibre surtout dans des parties plus techniques. Kurt et Yvonick me rattrapent au hameau de Vers les Ponts. J’arrive à les suivre jusqu’à la route cantonale du Col de la Forclaz qu’on traverse pour s’engouffrer ensuite dans les gorges du Trient avant de remonter sur Finhaut. J’ai perdu contact dans les escaliers très étroits et très raides de la descente et sur le sentier jonché de racines superficielles d’épicéas, rendant l’avancée scabreuse sans une concentration optimale. La nuit est noire profonde. On entend la rivière mais on ne voit rien en dehors du faisceau lumineux. Le couvert d’arbre empêche à la lune d’y envoyer la moindre lueur. La montée a été à mon avis mieux aménagée avec plusieurs nouvelles passerelles et quelques escaliers fait de planches pour retenir le terrain. Cela facilite grandement la marche. A Finhaut, 5ème base de vie, je retrouve mon sac suiveur. J’y vais boire mon Monster, reprend des barres et des madeleines de ma réserve personnelle et décide de voir ce pied qui me fait mal. Je demande de l’aide pour tirer les chaussettes et le podologue passant par-là, on me propose qu’il me désinfecte et soigne l’ampoule du pied gauche, douloureuse. J’accepte volontiers… mais je suis conscient que ça va me coûter du temps. Il faut changer de bâtiment, aller à la douche, je ne me douche que les jambes, pas le temps… mais je prends la peine exceptionnellement de me changer entièrement, les chaussures également. Au moins un peu de confort nasal… eh oui, le sweat-shirt commençait sérieusement à sentir la bête. Sous le pantalon, à la hauteur des genoux, plusieurs pustules de pus se sont formées. Le frottement du pantalon sale de poussière et de sueur probablement. Il me semble que ça doit être pareil dans le dos et au passage des bretelles du sac. Le soin de l’ampoule va me redonner un certain confort, surtout dans les passages où le pied pose sur les terrains en dévers. Je ne sens presque plus rien. En plus d’avoir aspiré le liquide de l’ampoule, un produit désinfectant a été injecté. Un pansement recouvert de tape protège le tout et va tenir le coup jusqu’à l’arrivée. Je dors aussi 45 minutes puis m’en vais manger au bistrot, un peu plus bas. Discussion sympathique avec les tenanciers. Mais je ne m’attarde pas, parlant souvent la bouche pleine… les coureurs compétitifs sont des gens rustres mais pour ma part très reconnaissant et toujours prêt à discuter, et à bien remercier les bénévoles, de véritables aides sympathiques et appréciées. A notre écoute, prêts toujours à répondre à nos moindres demandes. Merci encore à vous tous.

La montée qui m’attend s’appelle le Col de Fénestral. Je me sens bien mieux mais ne me précipite pas. Cela va bien environ 1 h de temps puis un coup de bambou de fatigue s’abat sur moi. Je peine à garder l’équilibre et les yeux ouverts. Je monte en trébuchant un pas sur deux. Je m’appuie parfois sur mes bâtons pour dormir 30 secondes. Finalement, bien que ça ne soit pas conseillé, je m’assieds pour dormir 5 minutes qui en durent 20, réveillé par le froid. Il me reste 400 m de dénivelé à faire. J’arrive finalement en haut, requinqué de ces minutes de sommeil. Le jour se lève, on distingue les montagnes qui se révèlent toujours davantage, sortant du noir. Le chemin pour redescendre de Fénestral est très pénible pour moi. J’ai faim et je n’ai pas beaucoup d’équilibre en raison de la plante du pied gauche qui me fait très souffrir. Quelques madeleines calment ma faim mais je n’avance pas plus vite pour autant. La descente sur Emaney va me prendre 1h30, alors qu’elle est indiquée 50 minutes. A 8 h, j’arrive à Emaney. Un alpage avec troupeau de vaches où l’on y fabrique du fromage. Une famille déjeune dehors au soleil. Je demande s’il est possible de déjeuner avec eux, payant mon dû évidemment. Une sympathique discussion s’engage, un beau moment de cette Swisspeaks. Je connais le nom de cette famille depuis mes années Junior quand je courais la course de côte Salvan-Emaney qui me convenait bien. Peu après mon départ, je me déshabille rapidement pour ôter le bas training et avancer en pantalon court au tissu léger muni de nombreuses poches, très pratiques comme fourre tout et avoir rapidement des petites choses sans devoir aller dans le sac à dos. Chaque intrusion dans le sac à dos coûte du temps, car en principe il est nécessaire de s’arrêter. Julien et Michaël, qui arrivaient à Emaney au moment où je m’apprêtais à en repartir, arrivent. Je monte le Col d’Emaney à leur suite et redescend avec eux sur Salanfe. Nous discutons, c’est sympathique. Au bord du lac, je me fais distancer dans les cailloux qui réveillent les douleurs de mes pieds et du coup, qui me font ralentir. Au ravitaillement de Salanfe, atteint vers les 10h15, je mange avant de dormir 30 minutes. Quand je repars, il fait déjà bien chaud au soleil au bord du lac. Les cailloux réverbèrent pas mal et cela me dérange profondément. J’aurais dû emporter mes lunettes de soleil, j’y ai pensé suite à ma mésaventure de hier, mais voilà, avec la fatigue et l’envie de perdre le moins de temps possible, à la base de vie de Finhaut, je n’y ai plus pensé et elles sont restées dans le sac suiveur. Je monte pile poil dans les temps donné sur les panneaux indicateurs. Je redescends pareil en 50 minutes comme le temps donné pour atteindre la Cabane de Susanfe. Mais je me sens toujours moins bien, ayant chaud et froid à la fois avec un bon mal de tête. Je m’arrête pour m’allonger un peu dans l’herbe mais je remarque que le ravitaillement est à une centaine de mètres. J’avale mon paracétamol et j’y vais. Je pose la question de savoir s’il est possible de dormir… non, pas ici. Oui mais dans l’herbe… mais un fauteuil et une couverture me sont plus agréablement proposé. Mais je suis stoppé et dois respecter cette décision. Mon état n’inspire pas confiance pour continuer avec le Pas d’Encel qui suit. Cela ne me fait pas même une réaction de contestation. Je somnole un peu avant qu’une très sympathique discussion philosophique s’installe, sur le sport, la douleur, le pourquoi du comment etc…et des vues parfois opposées malgré tout. Plusieurs coureurs passent, que je reconnais pour avoir fait un bout de chemin ensemble depuis le 1er jour. Et avec certains, il y a eu aussi de sympathiques discussions, comme avec Pierin, de Bulgarie, en montant entre Langritz et le col de Gibidum, avant Giw au 93ème km.

On m’a dit que je ressemblais à une personne de 84 ans en arrivant… mais on m’accompagne sur quelques centaines de mètres quand j’émets le souhait de repartir. Aline, la sympathique responsable du poste de ravitaillement veut voir comment je me porte. C’est ok, je peux voler de mes propres ailes… assez cassées pour descendre le Pas d’Encel. Mais ailes qui se déploient sitôt le sentier retrouvé menant à Bonavaux puis à Barme. Je me mets à passer les bosses à bonne allure, le pied ne m’embêtent pas trop sur ces sentiers plutôt terreux des pâturages et la forme est revenue. Le cake du ravito de Susanfe était-il magique ? J’en ai mangé plusieurs morceaux. Je reprends pleine conscience que je suis en course, fais un message vocal à mes enfants et à ma femme afin qu’ils me renseignent au plus vite de l’avancée de mes concurrents de catégorie. Ils sont à 3 h derrière environ et le 1er est à 5 h devant. Mais je cours comme s’ils étaient à mes trousses, quelques minutes derrière moi. A Barme, je fais hyper vite pour remplir ma gourde vide, demander c’est quoi ça, que j’emporte… 2 crêpes à la confiture et 2 crêpes au nutella et 2 carrés de grosses plaques de chocolat. J’ai une forme qui me fait plaisir, cela fait plus de 24 h que je me traînais durant lesquels je n’ai fait que 37 km officiels, environ 43 avec mon aller-retour involontaire jusqu’à la Forclaz. Je vais en faire 78 en 21 heures avec plus de 2 h d’arrêt dont 1 h25 à dormir réparti en 3 endroits (1 h aux Crosets, 5 min dans l’herbe avant Conches et 20 minutes à Conches)

Aux Crosets, je mange une grosse et une petite assiette de hachis parmentier. Et une belle tranche de gâteaux au chocolat, décorée de crème. Impeccable pour refaire un bon fond dans l’estomac. Tout en mangeant, je supprime quelques habits non-obligatoire de mon sac de course, divers objets que je ne juge plus utile pour l’alléger un peu. Je remplace les piles de ma lampe et l’essaye. Une fois, elle ne fonctionnait pas et cela m’avait un peu stressé. Finalement, après l’avoir ouverte et refermée, elle s’allumait enfin. C’était à l’Augsbordpass, quand je m’étais mis à chercher ma 2ème lampe, retournant mon sac par 2 fois pour la trouver et qu’elle était restée autour de mon cou toute la journée, n’ayant pas dû l’employer. Nous les coureurs n’avons pas, enfin, je n’ai pas toujours les idées claires en plein effort. Au moment où je me réveille, à minuit, le dos à moitié bloqué. J’ai dormi dans ce garage sous-terrain, sur mon lit de camp sans me couvrir. Je me couche, je dors instantanément. Sauf que mon dos a horreur des courants d’air et là ça me fait souci, j’arrive à peine à me baisser pour ramasser mes affaires. Paul Moog, se lève aussi. Je lui demande si ça lui dit qu’on avance ensemble. C’est plus agréable d’avancer de nuit avec quelqu’un que seul. On peut discuter, le temps passe plus vite. Surtout quand les écarts sont grands entre coureurs et que l’on ne voit pas d’autres lumières de frontales égayer la nuit. Je connais Paul depuis la Swisspeaks 2019. Il descend en général assez vite, c’est souvent ainsi que je le vois. Nous avançons fort jusqu’au haut des pistes, à la Porte de l’Hiver. De là, une assez longue descente d’abord un peu raide puis faiblement descendante nous amène à Morgins. Nous sommes les seuls au ravitaillement. Nous sommes servis comme des rois par les 3 bénévoles qui sont apparemment contentes de s’occuper de nous. Une belle assiettée de pâtes, 2 yoghurts, 2 cafés et ça repart, pas le temps de s’éterniser. On jardine un peu pour trouver le bon balisage avant de sortir du village. A peine au-dessus, les premières attaques de paupières nous perturbent dans notre avancée qui s’en trouve freinée et qui devient un peu cahoteuse. Finalement, nous décidons de dormir 5 minutes. Paul met son réveil, je me laisse tomber sur les bras repliés sous le thorax pour me protéger un peu de l’humidité et je m’endors illico presto. Il me secoue pour me réveiller. Cela a fait le plus grand bien, nous pouvons forcer un peu l’allure et garder à distance les 2 lampes qui trouent la nuit derrière nous. Le ravitaillement de Conches n’est pas loin devant nous. Nous avons décidé de dormir 20 minutes, il y a des matelas à disposition. Puis Bircher, crêpes, 2 cafés et ça repart… 5 minutes derrière Julien et Michaël qui sont arrivés durant notre sommeil. Ce sont eux qui nous suivaient. Le lever du jour nous a incité à enlever dans la cabane de Conches, le pantalon léger et d’avancer en short. Une montée à la verticale me fait plaisir que j’escalade à fond. Paul cale un peu dès la mi-pente. Plus haut, c’est moi qui freinerai un peu dans des passages techniques sur des crêtes bien semées de pierres dressées. Je tombe et pivote en dehors du sentier. Je risque de me planter la main sur un tronc sec pour me retenir de ma chute. Nous sommes à cheval sur la France et la Suisse. Sur le haut des pistes de ski de Torgon et de Chapelle d’Abondance. Je retombe une deuxième fois dans la dernière crête. Ce n’est pas le moment de se blesser. Une petite secousse dans le dos se fait ressentir en essayant de me rattraper. Nous revenons sur Julien et Michaël et un troisième coureur. Les paupières deviennent à nouveau très lourdes sur un bon chemin, assez monotone. Une lampée de café tirée de ma gourde, combinée à un passage qui demande pas mal d’attention va me sortir de cet état comateux où j’avance à moitié endormi. Un chemin pentu nous élève au ravitaillement de Blanc Sé. Nous sommes 8 à ce ravitaillement où nous retrouvons plusieurs coureurs. Xavier s’en va rapidement. Je mange 3 petites pdt et une raclette, un peu de raisin en attendant ma raclette et décide de m’en aller avec Paul.

Il reste 27 km jusqu’à l’arrivée et j’ai bien l’intention d’y arriver le plus vite possible en laissant le maximum de coureurs derrière moi. Donc je force nettement l’allure. A la descente, Paul suit à mon étonnement, il ne passe jamais devant, lui le bon descendeur. Puis ça remonte assez sec avant quelques à flanc de côteaux et petites bosses qui nous font arriver à Taney. Sergio, un coureur italien nous rattrape. Paul dit que ça va trop vite pour lui, que ça lui est égal d’être 35 ou 45ème. Je m’annonce au ravitaillement mais je fais demi-tour et n’emporte rien. J’ai encore assez à boire et à manger. Xavier, assis au ravitaillement m’emboîte le pas. Je force à la marche sur la légère montée. Il suit toujours. Je continue mon effort jusqu’à ce qu’il lâche petit à petit. Je trottine dans les courbes pour ne pas que cela se voie. Puis c’est bon, un trou est fait. Sergio, qui s’est arrêté, est revenu sur Xavier. Il le dépasse aussi et finit par me rattraper au sommet avant de basculer dans la pente. Une rencontre avec un jeune couple, sa fille, son gendre peut-être le fait s’arrêter. Il perd bien une minute avant de continuer. Le sentier est mauvais, fait de gros cailloux blancs qui roulent sous les pieds, comme du balast de chemin de fer. Une cuvette et ça remonte de 100 à 150 m de dénivelé. Je suis carrément à fond pour essayer de garder l’écart, voir de l’augmenter. Nous rattrapons Frank. Je m’élance dans la pente suivante au sentier très glissant en raison des petits cailloux qui le jonchent mais qui roulent sous nos semelles et risquent de nous faire perdre l’équilibre. Je prends quelques risques en allant le plus vite possible mais aussi lentement que nécessaire pour ne pas tomber. Je suis très penché en avant et mes pas sont très courts mais j’essaye de garder une haute cadence de mes pas. C’est efficace… Sergio ne me rattrape pas. Le 3ème coureur de la 170 me rattrape sur le bas de cette descente à présent dans un pâturage. Nous pouvons augmenter la cadence et la longueur des pas. Il me prend une centaine de mètres. Je lui demande ce qu’il en est du coureur derrière moi. Il me dit, ho, il en est à la bière. Je ne comprends pas trop ce qu’il veut dire. Je me dis qu’il n’y a aucune raison que ce coureur, jeune moins de 30 ans par rapport à moi court plus vite en descente. J’accélère constamment sur la route qui mène à Franet et je le rattrape. Le ravitaillement arrive, je remplis à la hâte une gourde et m’en vais avant le coureur de la 170 km. Il finit par me rattraper et me dépasser dans la légère pente de 2 % environ, sur 3 à 4 km. Je pense constamment à relancer en augmentant la cadence de mes pas. Un becquet met fin à cette longue légère montée et je rattrape presque le coureur de la 170 km sur les quelques 100 à 150 m de dénivelé. Puis une longue partie en forêt, souvent en dévers à flanc de coteaux suit sur 3 à 4 km également. Et enfin une grande descente jusqu’au Bouveret. Je cours toujours comme si j’étais pourchassé et en danger. Je sens subitement un caillou dans ma bouche. Un implant s’est décollé, sorti de sa loge. Je le crache et le met dans une poche. Juste avant la sortie de la forêt, je rattrape Carlos, de Genève. Je fonce jusqu’à l’arrivée. Depuis Blanc Sé jusqu’à l’arrivée, ce sont 10 places de gagnées. Carlos arrive 14 minutes derrière moi et Sergio 24, moi qui croyais qu’il était toujours à mes trousses. J’aime bien ce sentiment malgré tout d’avancer vite et plus vite que les autres. Le sport c’est ça, avec de belles tapes sur l’épaule ensuite en discutant le coup. Je termine ce SwissPeaks édition 2021 en 122 h 06 min 33 secondes. 40ème du classement scratch, 36ème homme et 2ème des masters 3 Et malgré quelques déboires qui m’ont fait perdre beaucoup de temps, très content de ma performance. J’ai réussi à tirer le meilleur de moi-même après mon malaise de la Fenêtre d’Arpette. J’étais ensuite un peu tenu à l’œil. J’ai appris qu’ils hésitaient à m’arrêter. Fidèle à mes habitudes, j’ai réussi à finir à fond, remontant de 10 places au général. Avant mes mésaventures, j’étais même entré dans les 20. Ma seule erreur est d’avoir voulu reprendre Adrien alors qu’il faisait chaud et que je ne me sentais pas au mieux. J’avais envie de dormir mais j’ai attaqué. Rapidement, je m’encoublais partout, ce qui est chez moi synonyme de fatigue. Magnifique ambiance durant cette SwissPeaks. De très belles rencontres avec d’autres coureurs, des bénévoles, des gens du pays comme à Emaney. Avec de sympathiques discussions. Finalement, peut-être à refaire… même si c’est extrêmement dur et que j’avais dit avant la course, ce sera ma dernière. Tout coureur d’ultra est un menteur patenté. Plus jamais ça qu’il dit, puis il revient et recommence, toujours et encore. C’est ça et c’est beau cette vie.

Un grand merci à Julia qui m’a bien coaché à distance par iPhone interposé, un grand merci à mes enfants aussi, aux amis, la famille, des connaissances et je ne cite pas nommément, car je risquerais d’oublier certaines personnes. Même si je n’avais pas envie de répondre, car je ne désire pas perdre de temps, j’arrivais au moins une fois par jour à lire rapidement vos messages et cela me faisait du bien et m’encourageait. J’ai gardé un tout bon mental, moral, même avec mes mésaventures, mes erreurs de parcours qui me font faire 10 km de plus en 5 erreurs. Juste un peu énervé sur le moment, mais ça m’a sorti de ma torpeur et m’a remis la tête dans la course. Les petites erreurs en raison d’un balisage pas toujours au top et les plus grosses en raison d’un manque de concentration en discutant avec d’autres coureurs et une journaliste. La seule fois où j’ai été un peu découragé a été à Langritz avec la même fatigue qu’il y a 2 ans, et on peut dire qu’il y a 3 ans même si la montée se faisait depuis le Simplon au lieu de Grund. Là, c’est Adrien, qui venait d’arriver qui m’a dit avec ton expérience, tu vas pouvoir gérer ça. Et à Giw, c’est Luca Papi qui me tient aussi des propos rassurants. Merci les amis. Avec la même intensité de fatigue, chaque année au même endroit, ça m’interpelle beaucoup. Si j’y retourne à la Swisspeaks, rebelote ? Histoire de thyroïde et de repas durant la nuit ? Froid de l’air ambiant ? Je me pose beaucoup de questions car en plus de n’avoir aucune force, je n’arrivais pas à respirer normalement. Cela sifflait au passage de l’air, mes jambes semblaient asphyxiées et pesaient une tonne. Ou arythmie d’effort ? Ou ou ou… je n’en sais strictement rien car si ces difficultés à respirer se manifestent encore un peu la seconde nuit, je n’ai pas eu l’impression que ça revenait les nuits suivantes. Ou alors de très courts moments, mais la fatigue est aussi toujours au rendez-vous. Et peut causer les mêmes effets.

Et pour conclure, un immense coup de Chapeau à Adrien Schlüchter qui à 67 ans remporte la catégorie Master 3. Un immense Bravo l’ami !