Le sol m'assassine

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Le sol m’assassine

Que je marche, courotte, trottine ou que je cours
J’use la démarche de guingois du balourd
Qui propre à moi dès le départ m’identifie
Et m’accentue jusqu’aux termes des défis

Que ce soit un sol mou de boue
Je donne l’impression d’être à bout
Qu’il soit dur meuble et bien ferme
Il vibre sous mes pas de pachyderme

Dans l’effort même mon ombre boîte
Elle se disloque ces soubresauts la déboîte
Des chevilles aux cervicales
J’ai mon compte bien bancal

La dureté de l’épreuve ou du sol
Me rigidifie en une drôle de bestiole
Même qu’on me croit fini ou presque
Mes foulées dessinent toujours leurs fresques

Sur tous supports gardiens de mes empreintes
Mais qui eux c’est sûr m’éreintent
Bitume, prairie, gravier, pierres et racines
Par les ans trans-kilométriques m’assassinent

Je suis la ruine que même le sol du vestiaire fuit
Sol qui s’efface, s’enfonce, s’éloigne, s’enfouit
Je ne sais où si loin, si bas
Que ne peuvent plus l’atteindre mes bras

Pour libérer mes pieds de mes chaussettes
La souplesse est priée de faire son reset
La douche n’arrive pas à laver la rouille
Qui avec le lustre du repos est en brouille

Mon corps est un vrai camp de réfugiés
Il héberge toutes sortes de pathologies
Chez moi elles sont toutes privilégiées
La passion les flirte avec démagogie

Au-delà de l’élémentaire bon sens
Mon corps court là, limant terre en mouvance
Elimant mon enveloppe pour la mettre à terre
Que de jurons contre la déchéance j’oblitère

Mon cœur élude son inévitable sort
Même s’il se trahit par un juron qui sort
La raison s’est perdue en plein essor
Revenant sur terre elle rebondit comme un ressort
Je retombe le sol m’assassine
Avec ou sans racine

Christian Fatton, Ultra Trails de Juin-Juillet 2019



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