Le Tor des Géants

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Le Tor des Géants

Du monde entier on accourt au Tor des Géants
Pour s’y préparer vaut mieux n’pas être fainéant
Plus de trois cent trente kilomètres au Val d’Aoste
Cette appréhension à l’entraînement te booste

Il s’agit de venir à bout de vingt-cinq cols
Trente-mille mètres de dénivelé ton poids décolle
De jour comme de nuit tu foules les sentiers alpins
Ta volonté est ta poudre de perlimpinpin

Les lieux de ravitaillement agissent comme îlots
Tu y reprends ton souffle, les puls remises à flot
Des bénévoles, t’es choyé aux petits oignons
Ils mettent tout en œuvre pour qu’apte tu suives les fanions

Premier col, ivre d’excitation tu te retournes
Tu vois une chaîne humaine, ta tête d’émotions tourne
Contemplant cette chenille processionnaire du bain
Des diverses sueurs, trait d’union entre chaque larbin

Dans l’adrénaline tu te sens au paradis
Aux parfums nocturnes des vals du Grand-Paradis
Tu t’oxygènes de vie et d’une sûre liberté
Le ciel t’englobe qu’à moitié, ta lampe l’a mité

Tu suis le faisceau lumineux de ta frontale
Comme un fil d’Ariane te conduisant à ton Graal
L’effort dans les sentiers jusqu’à ton arrivée
Vraie belle aventure qui est d’anecdotes pavées

Tu te crois fauve chassant ton gibier, l’adversaire
Qui comme toi n’fait pas de cadeau d’anniversaire
Tu forces un peu trop confiant, ça marche un moment
Puis sans explication, tes jambes pèsent rudement

Tes limites titillées, se fend ta carapace
Redevenu humain, tu te plains, tu jacasses
Avec l’ombre de toi-même, un compagnon de route
Qui pas à pas dans le même souffle émet ses doutes

Les calculs des prévisions horaires temporisent
Sous le soleil, aux refuges, aux vents qui frisent
Tes certitudes se font la malle, ta fierté maille
Ton costard de champion rêvé au temps s’émaille

Tu assistes au survol d’un faon par deux rapaces
La nature suit son chemin qui évite les impasses
Pour percer la nuit tes yeux s’aident d’une lampe à piles
Ta vue loin des performances du goupil

Tu la foules bien discret, la nature te tolère
Elle te sait venir, elle qui vit le nez en l’air
Si tu vois un edelweiss ou du génépi
Tu te courbes pour humer et t’offrir du répit

L’animal que tu n’es pas s’émerveille d’un rien
La faune amère veille comme si t’étais un saurien
Mais la course reprend le dessus, tu pestes de soif
Le ruisseau puriné murmure ton épitaphe

Au début tu fonces comme une auto de rallye
Tu dérapes dans les descentes sur les pierres polies
Tu glisses sur les graviers ou sur l’herbe mouillée
Suite au vol plané tu t’offres une belle dérouillée

Excité, stressé, t’en oublies de bien manger
Affamé tu te gaves, l’estomac dérangé
Aux nuits blanches s’ajoute, tu connais la défaillance
Tu marches tel un zombie comme ivre en pleine errance

Tu fais alors ta nuit de jour, dormant une heure
Un miracle agit, t’es requinqué en coureur
Qui redouble d’effort, qui piaffe d’impatience, qui fonce
Des chances à te suivre les autres n’en ont aucune once

T’avales les côtes, pierriers, descentes à tire-d’aile
Fort, nourris de nouvelles siestes et de tagliatelles
T’avales la fin du parcours faisant tout juste
Comme tous ceux qui finissent t’es un coureur auguste

 

Christian Fatton
Noiraigue, septembre-octobre 2017



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